Les cellules de renseignement financier
Les attentats de 2015 et 2016 et le scandale des Panama Papers qui ont bouleversé le monde, l'Europe, et particulièrement la France, ont confirmé combien les formes et le financement du terrorisme et de la criminalité n'avaient plus de frontières . Ces événements ont souligné le caractère urgent du renforcement d'actions communes internationales et européennes . Parmi ces actions, la mutualisation des informations financières est un thème pivot . D'une part, il vise à assurer la sécurité des populations et des Etats en déjouant les attentats terroristes. D'autre part, il entend protéger les « impératifs propres » de la confiance dans les marchés financiers fondés, non seulement sur la sécurité, mais aussi sur la notion d'intégrité des acteurs . Les cellules de renseignement financier (CRF) sont des organismes dont la mission est de servir d'intermédiaires entre, d'une part, les professions de la sphère privée chargées d'une mission de prévention du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme (LBC/FT), et d'autre part, les autorités judiciaires, récipiendaires de ce renseignement à des fins de poursuite. Dès l'origine, la mission, le rôle, et les fonctions essentielles des CRF (réception, analyse et diffusion du renseignement financier) ont fait l'objet d'un consensus international (GAFI, Union européenne, Groupe Egmont des CRF). Mais la nature, les compétences, les pouvoirs, les moyens et l'organisation sont restés du ressort des législateurs nationaux. Après plus de 25 ans d'existence, cette étude entend établir un bilan de l'action des CRF dans un double contexte : 1 ) les politiques nationales de prévention du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme doivent s'adapter aux métamorphoses de ces infractions ; 2 ) dans un monde où l'échange de renseignement entre les Etats est un vecteur de réussite des politiques de lutte contre l'argent sale et le financement de la criminalité. Cependant, l'adaptation des champs de compétence des CRF à ces évolutions connait des dynamiques contradictoires qui nuisent à la coopération internationale. Un mouvement d'éclatement des champs de compétences ratione personae et materiae tout d'abord : le nombre de professionnels assujettis est en constante expansion et leurs activités dépassent les frontières des Etats ; à cela s'ajoute un champ toujours plus vaste du renseignement financier qui dépasse la lutte historique contre le blanchiment de l'argent de la drogue. Un mouvement de contraction du champ de compétence ratione loci ensuite car l'action des CRF, régalienne par nature, est circonscrite au territoire national. Le périmètre d'étude portera sur Tracfin dont le fonctionnement sera confronté à celui de ses homologues belges, suisses et luxembourgeois . En plus d'un haut de niveau de coopération entre elles, ces CRF incarnent chacune un modèle différent selon une classification historique fondée sur le « statut » que nous tenterons de dépasser en envisageant une taxinomie sur le fondement d'autres critères. A cette fin, nous nous interrogerons sur l'ambigüité née de notions dont la rencontre peut faire figure d'oxymore : renseignement financier et coopération internationale. D'un côté, le renseignement s'inscrit dans une culture politique nationale qui appelle au développement d'un savoir d'Etat destiné à assurer sa propre sécurité. De l'autre, les professionnels assujettis et l'objet du renseignement financier dépassent les frontières de l'Etat. L'expression « à l'épreuve de » établit entre ces deux notions un rapport de confrontation. Ce rapport devrait nous permettre de mesurer les écarts entre les champs de compétence des CRF par l'identification des facteurs d'opposition à la coopération internationale et la proposition de vecteurs de rapprochement. Dans quelle mesure le rapprochement des compétences des CRF concourt-il au renforcement de la coopération internationale ? L'opposition née des dynamiques contradictoires d'expansion et de contraction des champs de compétence des CRF semble constituer une véritable épreuve pour la coopération internationale. En réponse, cette thèse tentera de montrer comment l'efficacité du travail des CRF, éprouvée par le besoin de coopération internationale, pourrait être renforcée par une rationalisation de leurs champs de compétences personnel et matériel. Nous envisagerons alors la manière dont cette étape pourrait constituer un préalable à la structuration du champ de compétence ratione loci au niveau supranational par la constitution d'un espace commun du renseignement financier.