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Réflexions sur la séparation des fonctions judiciaires dans le procès pénal.

Le procès pénal a longtemps été entendu comme la procédure applicable au jugement d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, après instruction, le cas échéant. Trois fonctions seulement étaient mises en œuvre : la fonction de poursuite, dévolue aux représentants du ministère public ; la fonction d’instruction, attribuée aux juridictions d’instruction ; et la fonction de jugement, réservée aux juridictions de jugement. Ces fonctions étaient – elles le sont toujours – séparées, dans le sens où un même magistrat ne peut connaître d’une même affaire à différentes fonctions. Au fil des vingt à trente dernières années, à la faveur de choix nationaux de politique criminelle, la notion de procès pénal a évolué, sur trois plans, essentiellement. L’enquête de police judiciaire, permet la mise en œuvre de techniques d’investigations toujours plus efficaces et coercitives. En cela, l’enquête de police judiciaire remplit une fonction d’instruction. Mais, menée sous la direction du procureur de la République, autorité de poursuite, une confusion des fonctions matérielles d’instruction et de poursuite se fait jour. Par ailleurs, la fonction de poursuite du procureur de la République a évolué dans celle consistant, pour les représentants du ministère public, à, plus largement, rechercher une « réponse pénale » à la commission d’une infraction ; laquelle réponse pénale peut consister en une alternative aux poursuites (médiation pénale au sens large et composition pénale) ou en une poursuite devant la juridiction d’instruction ou de jugement, poursuite connaissant à son tour des alternatives au jugement (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et procédure simplifiée de l’ordonnance pénale). Or, en matière délictuelle, de la réponse pénale du procureur de la République dépend la nature juridique de la sanction de la commission de l’infraction : sanction ne présentant pas le caractère d’une punition (médiation pénale), sanction présentant le caractère d’une punition (composition pénale) ou peine. Une confusion des fonctions matérielles de poursuite et de jugement apparaît alors. Enfin, une fonction nouvelle s’est imposée, relative à l’application des peines, avec le quasi achèvement de la juridictionnalisation de l’application des peines. Mais des manifestations d’immixtion du ministère public ou des juridictions de jugement dans les modalités d’exécution ou d’application des peines peuvent faire craindre que la fonction d’application des peines ne soit pas strictement séparée des fonctions de jugement et de poursuite. Sous l’influence de la Convention européenne des droits de l’Homme et de la jurisprudence de la Cour, une fonction judiciaire nouvelle s’est imposée, d’inspiration anglo-saxonne : la fonction d’Habeas corpus ou de juge de la liberté. À sa façon, le droit français de source nationale a intégré cette fonction en créant le juge des libertés et de la détention, en étendant sa portée au-delà de la sauvegarde de la liberté physique d’aller et venir, pour l’élargir à des ingérences dans d’autres droits et libertés, comme le droit à la vie privée. De juge « des libertés et de la détention », ce magistrat devient à certains égards juge dans l’enquête, sinon de l’enquête. Le procès pénal comprend dorénavant cinq fonctions : la fonction de poursuite, la fonction d’instruction, la fonction d’Habeas libertas, la fonction de jugement et la fonction d’application des peines. Il revient de déterminer si ces fonctions sont juridiquement et surtout matériellement séparées, en quoi les notions de « séparation » et de « fonctions judiciaires » ont pu évoluer et si ces garanties suffisent à équilibrer les droits et prérogatives des parties dans le procès pénal.